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L'abondance contre l'économie

copying is not theft

Le droit d’auteur sur Internet

Les lois répressives pour défendre le droit d’auteur sont justifiées par une règle que certains jugent incontestable : un auteur a le droit de décider la manière dont son œuvre sera diffusée. S’il ne souhaite pas rendre son œuvre disponible autrement que par les canaux de diffusion qu’il aura choisis, c’est son choix.

Pourtant, un auteur ne peut pas avoir tous les droits, certains droits sont nécessaires pour le public. Par exemple, ce n’est pas parce que c’est son œuvre (laissons ici de côté la part dont il redevable aux créateurs précédents) qu’il peut interdire à la population d’y penser, d’en parler, de la critiquer, etc. Pour quelle raison devrait-il pouvoir interdire son utilisation non-commerciale ?

La réponse qui vient à l’esprit est évidente, c’est le raisonnement de ceux qui sont favorables à l’interdiction du partage : un artiste, comme toute autre personne, a le droit de vivre de son travail. Si tout le monde peut accéder aux œuvres de manière illimitée et gratuite, alors, disent-ils, l’artiste ne pourra plus vendre son travail.

Ceux qui sont favorables à la légalisation du partage de fichiers leur répondront que ceux qui téléchargent le plus sont ceux qui achètent le plus, que de nouveaux modèles économiques sont nécessaires, qu’une meilleure diffusion augmente la notoriété de l’artiste, qui pourra ainsi attirer plus de monde à ses concerts, etc. Mais surtout, bien avant les arguments économiques, ils défendent ce qu’ils jugent meilleur pour la société.

En effet, pour la société, la culture a tout à gagner à être abondante et accessible à tous. Le problème est que sa “valeur marchande” diminue lorsque son abondance augmente. La dématérialisation permet la surabondance : tout le monde peut partager et copier indéfiniment et gratuitement. Nous ne pouvons pas rêver mieux si nous défendons l’abondance.

Par contre, si nous nous concentrons sur la valeur marchande, nous en concluons que l’abondance ruine la culture, car alors il n’est pas possible de la faire payer. Ainsi nous nous lançons dans une guerre contre le partage pour restaurer une rareté propice à satisfaire une demande solvable, au nom des intérêts supposés des auteurs (et surtout des ayant-droits).

Il semble donc y avoir une opposition directe entre l’intérêt des auteurs et celui de la société. Si nous devions choisir entre les deux, nous pourrions nous inspirer de la pensée de Victor Hugo :

Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.

Mais ces intérêts sont-ils réellement en conflit ? Et pourquoi ?

Une restriction étrange

La diffusion sans restriction de la culture et de la connaissance est sans conteste bénéfique pour la société. Mais est-elle bénéfique pour les auteurs ? Sans aucun doute : rendre accessible à davantage de personnes leurs œuvres sans aucun coût ni travail supplémentaire leur est profitable. La seule condition pour eux est d’obtenir les moyens de leur subsistance (ce que de toute façon, pour la plupart, les droits d’auteur ne leur permettent pas dans le système actuel).

Nous sommes donc dans une situation très étonnante : le partage et la diffusion illimitée sont dans l’intérêt à la fois des auteurs et du public, mais les échanges sont volontairement restreints (par la loi) à cause d’un problème économique. C’est donc l’économie qui empêche des échanges, que rien ne limiterait par ailleurs. N’y voyez-vous pas un paradoxe ?

L’économie

L’économie a pour objectif de résoudre les problèmes de rareté auxquels la société doit faire face. Pour cela, elle valorise ce qui est rare – c’est-à-dire un produit ou un service dont la demande est supérieure à l’offre – pour inciter les entreprises à mettre en œuvre des moyens de production répondant à ce besoin. A priori, c’est un mécanisme pertinent : les besoins de la population sont ainsi satisfaits au mieux, en privilégiant la production de ce qui est insuffisant.

Mais que se passe-t-il lorsque les problèmes de rareté sont résolus dans un domaine ? Tant mieux, pensons-nous, le but de l’économie est atteint, nous avons réussi. Nous pouvons alors augmenter la liberté de la population en réduisant leur dépendance vis-à-vis d’intermédiaires devenus inutiles, en rendant les moyens de production et de reproduction accessibles à tous. Mais paradoxalement, comme l’objectif est atteint, nous ne pouvons plus gagner d’argent. C’est simple : une demande limitée, une offre illimitée et un coût marginal nul impliquent un prix nul.

Comment faire fonctionner l’économie dans ce cas ? La demande est limitée, nous pouvons tenter de l’augmenter (éventuellement grâce à l’obsolescence programmée). Mais surtout nous devons empêcher que l’offre soit illimitée, en enlevant (par la loi ou par la technique) les moyens de (re)production des mains de la population, pour rendre le coût marginal non nul (obliger à faire payer chaque instance du produit en passant par un intermédiaire forcé). Il faut alors restreindre pour faire du bénéfice (cette règle est aussi valable pour le réseau Internet lui-même).

Pour gagner de l’argent, il nous faut donc lutter contre notre objectif : l’abondance. Et vu qu’il faut gagner de l’argent pour vivre, il est vital d’aller à l’encontre de ce qui est bénéfique pour la société. N’est-ce pas absurde ?

C’est la raison pour laquelle je suis convaincu qu’une partie des échanges doit être hors-marché. Je pense que nous devrions réserver l’économie aux domaines où elle fonctionne, lorsqu’elle améliore la société, c’est-à-dire quand nous devons gérer la rareté. Le reste des échanges – lorsqu’il y a abondance – doit être hors-marché, car sinon l’économie tenterait d’y restaurer une rareté artificielle. Certains réfléchissent aussi à des monnaies d’abondance.

Les domaines d’abondance

L’arrivée du numérique a de facto rendu tout ce qui est immatériel abondant. La musique est le premier domaine à avoir massivement profité de cette amélioration technologique, suivie par les films, les jeux vidéos, les livres, l’information, etc. Les industries travaillant dans ces domaines d’activité ont toutes un point commun : leurs modèles économiques sont en train de s’effondrer.

Mais ce progrès ne devrait pas s’arrêter à l’immatériel : une seconde vague d’abondance pourrait bien accélérer le processus d’évolution de la société : l’autofabrication à portée de tous (par exemple l’impression 3D) permettra potentiellement à chaque foyer de posséder sa propre usine miniature à faible coût. Beaucoup d’entreprises pourront mettre la clé sous la porte : pourquoi j’irai acheter une chaise dans un magasin si je peux la télécharger et “l’imprimer” chez moi ?

Dans une génération, on sera bien en peine d’expliquer à nos petits-enfants comment on a pu vivre sans son autofabricateur, et qu’on devait commander des biens préfabriqués en ligne et attendre qu’ils nous arrivent dans notre boîte aux lettres livrés par la Poste.

Cette prospérité est inéluctable. Mais surtout, et je voudrais insister là-dessus, elle est souhaitable. Comment en sommes-nous arrivé à croire le contraire ? La question ne devrait pas être de savoir si oui ou non il faut tolérer le partage de fichiers, mais au contraire comment faire pour l’encourager.

Corriger le problème économique

L’équilibre entre l’abondance et la rareté évolue. Dans un monde de rareté, l’économie peut fonctionner. Dans un monde d’abondance absolue, l’économie telle que nous la connaissons serait contre-productive, et à la limite il n’y aurait pas besoin d’argent (aurions-nous inventé l’argent si rien n’était rare ?). Mais le problème se pose lorsque le monde est composé à la fois de domaines d’abondance et de rareté : pourquoi les personnes travaillant dans un domaine d’abondance ne pourraient-elles pas gagner d’argent, alors que celles travaillant dans un domaine de rareté le pourraient ?

Quelles sont les solutions envisagées pour le résoudre ? En voici cinq (peut-être y en a-t-il d’autres).

La rareté imposée

La première, c’est d’imposer par la loi ou par la technique la rareté, pour lutter au maximum contre l’abondance des choses. C’est la solution envisagée par beaucoup de lois actuelles (Hadopi en France), souvent écrites par les lobbies des entreprises qui bénéficient de cette rareté. Sans commentaire.

Les profits indirects

La deuxième consiste à bénéficier de l’abondance pour atteindre un public plus important. Typiquement, un chanteur rend sa musique accessible à tous, cela contribuera à le faire connaître et lui permettra d’attirer plus de monde à ses concerts. L’idée est séduisante, mais elle ne s’applique pas à tous les domaines (il serait par exemple difficile pour un écrivain d’obtenir des profits indirects). Néanmoins, même si elle est insuffisante, cette solution est naturellement plébiscitée lorsque c’est possible.

La contribution créative

La troisième est une contribution forfaitaire, appelée contribution créative (plus connue sous le nom de licence globale), versée mensuellement par chaque internaute. Philippe Aigrain détaille cette proposition dans son livre Internet & Création. Elle possède un atout majeur : autoriser et favoriser les échanges hors-marché.

Néanmoins, j’émets quelques doutes : je la considère comme une solution temporaire. En effet, si le calcul prend en compte les médias (musique, films, livres…), toute forme de création (présente et future) n’est pas concernée, comme par exemple les logiciels libres. Sans parler de la future duplication des objets matériels évoquée plus haut.

De plus, elle ne prend pas en compte l’augmentation de la diversité : plus il y a d’auteurs, moins chaque auteur sera rémunéré.

Enfin, ce mécanisme induit nécessairement une centralisation : chaque auteur devrait adhérer à une gestion collective, et nous devrions mesurer la proportion des échanges pour redistribuer la cagnotte à chacun. Je suis a priori réticent face à une telle centralisation (mais pourquoi pas ?).

Le don

Une autre solution est la rémunération par le don. Le principe est simple : chaque œuvre est accessible à tous, ceux qui ont apprécié peuvent rémunérer l’auteur. Ce mécanisme peut sembler bien limité : le montant récolté sera probablement insuffisant, et utilisé seul, l’incertitude de revenu ne favoriserait pas la pratique d’activités non marchandes.

Cependant, ce système de rémunération est intéressant, car il favorise les échanges hors-marché tout en permettant une rétribution de l’auteur, sans centralisation.

Le revenu de base

Enfin, la solution que je trouve la plus séduisante est le revenu de base, un revenu versé inconditionnellement à chacun et suffisant pour vivre.

Une fois ce revenu garanti, certains ne s’épanouiraient-ils pas dans des domaines moins rémunérateurs, mais davantage bénéfiques pour tout le monde ? D’autant que ce n’est pas l’argent qui nous motive vraiment dans le travail (encore faut-il en avoir suffisamment pour vivre).

Ne croyez-vous pas qu’un frein majeur au développement des logiciels libres (par définition copiables, donc abondants) soit justement la nécessité de gagner de l’argent sur la rareté ? Bien sûr, il est possible d’être rémunéré indirectement, par les services, le support… Mais est-ce suffisant ? Les entreprises sont même parfois contraintes de financer le logiciel libre par le logiciel propriétaire

Par ailleurs, dans le domaine de l’information où l’indépendance est capitale, ce revenu de base s’ajoutant aux autres sources de financement pourrait contribuer à réduire la dépendance économique des journalistes.

Ce ne sont que quelques arguments en faveur du revenu de base. J’en développe d’autres dans mon billet consacré au dividende universel, et je détaille l’injustice monétaire, un argument central justifiant sa mise en place.

À propos de la monnaie justement, le don est actuellement découragé à cause de la structure centralisée du système monétaire. Je pense qu’une monnaie à dividende universel permettrait de faciliter cette forme de rémunération supplémentaire…

Je suis persuadé que cette proposition est au moins une partie de la solution au problème économique de l’abondance. Je regrette qu’elle soit si peu évoquée dans les débats sur le droit d’auteur.

Conclusion

Je souhaite que le libre partage de la culture, de la connaissance, et plus généralement de tous les biens non-rivaux soit légalisé. Non pas pour quémander un droit qui serait illégitime, mais au contraire parce que je pense que c’est une évolution nécessaire et positive pour la société. En particulier, l’utilisation non-commerciale d’une œuvre devrait être un droit du public non contestable par l’auteur.

Nous ne pouvons accepter le seul argument économique pour justifier de lutter contre l’abondance, alors même que l’économie a pour objectif de résoudre des problèmes de rareté. Nous devons au contraire mettre en place un système qui assure la subsistance de chacun et qui favorise le partage et l’abondance.

Commentaires

Bonne synthèse !

Juste pour rebondir sur la licence globale : le problème majeur de ce truc, c’est que tu crée une concurrence entre les artistes puisque la taille du gateau à partager est fixée d’avance. Du coup tu reproduis le modèle de la sacem dans lequel à peu près 50% des gens se font spolier pour qu’il y ait moins de fourmis autour du gateau (les ingés sont et arrangeurs payés au black, les salles de concert qui replissent pas les fiches sacem etc.). On éjecte les petits du système pour avoir plus pour soi.

On crée une concurrence artificielle entre les artistes alors que, comme tu le rappelle la musique est un bien non-rival…

Un artiste n’a pas tous les droits sur son oeuvre ? J’estime que si !

Il peut en réglementer l’usage, imposer un usage commercial, ou au contraire non-commercial (car tu dis que l’artiste ne devrait pas pouvoir interdire un usage non-commercial, mais dans ce cas, il ne peut légitimement interdire non plus son usage commercial !) ou les deux…

Je n’estime pas non plus que le partage de fichiers est au bénéfice de l’artiste: celui-ci peut alors s’apercevoir que le fichier-oeuvre sort du public où il souhaitait le cantonner. Son oeuvre pourrait alors s’en trouver dénaturée.

Je considère au contraire que l’artiste doit être encouragé à utiliser au mieux les licences qui permettent de réglementer le partage de telle ou telle oeuvre vraiment suivant la volonté du créateur.

Moi-même j’estime qu’un certain nombre de fonctions ne devraient pas être payées (ou la rémunération doit être déconnectée du travail effectué, car si elle y est soumise, elle introduit une soumission à la personne qui valide le travail et donc un début de corruption en quelque sorte. Typiquement: les rédacteurs de documentation logicielle, si on les rémunérait, on aurait un biais en faveur de tel ou tel aspect ou logiciel. L’indépendance financière doit garantir l’indépendance rédactionnelle. De même des juges et officiers de police…).

Carbuncle

N’oublions pas tout de même que “L’utilisation non commerciale” peut quand même inclure la transmission de message.

Exemple : SI la musique de monsieur X est utilisée dans une video qui milite pour le droit des femmes à l’avortement. Pour autant que monsieur X soit opposé à l’avortement (droit à la vie, toussa), on est quand même face à un problème…

®om

@22decembre

Un artiste n’a pas tous les droits sur son oeuvre ? J’estime que si !

Pour un artiste, obtenir tous les droits sur une œuvre n’est pas envisageable. Comme je l’ai dit, il ne peut pas t’interdire d’en parler ou de la critiquer. Il n’a pas le droit non plus de décider de quelle heure à quelle heure tu as le droit d’écouter sa musique. D’ailleurs, de quel droit pourrait-il contrôler l’usage privé qui en est fait par son public ?

@22decembre

Il peut en réglementer l’usage, imposer un usage commercial, ou au contraire non-commercial (car tu dis que l’artiste ne devrait pas pouvoir interdire un usage non-commercial, mais dans ce cas, il ne peut légitimement interdire non plus son usage commercial !) ou les deux…

Je pense que ce n’est pas un choix exclusif entre “l’auteur peut réguler à la fois l’usage commercial et non-commercial” et “l’auteur ne peut réguler ni l’usage commercial ni l’usage non-commercial”. Personnellement, je suis favorable à ce que l’auteur puisse réguler l’usage commercial sans pouvoir empêcher l’usage non-commercial. Il y a une différence de fondement entre ces deux approches.

À l’époque où les auteurs n’avaient d’autre choix de passer par un intermédiaire pour atteindre leur public, il était légitime d’éviter que les éditeurs exploitent les auteurs en empochant 100% des bénéfices sans rien leur redistribuer. Si je suis éditeur et gagne de l’argent grâce au travail d’un auteur, celui-ci peut m’imposer, s’il le souhaite, d’obtenir son autorisation et éventuellement négocier un partage des bénéfices.

Pour le partage non-commercial, il s’agit d’interdire au public d’accéder à son œuvre sans autorisation, sur laquelle personne ne tire de profits commerciaux.

Ces deux raisons me semblent de natures très différentes, et justifient à mon sens de différencier la régulation du partage commercial et non-commercial.

D’ailleurs, historiquement, au départ le droit d’auteur ne servait qu’à réguler l’édition commerciale (le partage non commercial était quasiment inexistant, les outils le permettant n’existaient pas).

@22decembre

Je n’estime pas non plus que le partage de fichiers est au bénéfice de l’artiste: celui-ci peut alors s’apercevoir que le fichier-oeuvre sort du public où il souhaitait le cantonner.

Pour les œuvres publiques, en quoi le fonctionnement commercial y change quelque chose ? Une fois le contrat passé avec un distributeur, n’importe qui peut acheter une instance de l’œuvre (un album de musique, un film, un livre…).

@22decembre

Je considère au contraire que l’artiste doit être encouragé à utiliser au mieux les licences qui permettent de réglementer le partage de telle ou telle oeuvre vraiment suivant la volonté du créateur.

La possibilité de choisir une licence interdisant le partage non-commercial sans autorisation me paraît déséquilibrer totalement les droits entre les auteurs et le public.

®om

@Carbuncle

N’oublions pas tout de même que « L’utilisation non commerciale » peut quand même inclure la transmission de message.

Exemple : SI la musique de monsieur X est utilisée dans une video qui milite pour le droit des femmes à l’avortement. Pour autant que monsieur X soit opposé à l’avortement (droit à la vie, toussa), on est quand même face à un problème…

C’est vrai, mais ça n’est à mon avis pas suffisant pour justifier un contrôle absolu de l’œuvre par son auteur.

C’est un peu comme pour la liberté d’expression : sans censure a priori, il peut y avoir des propos diffamatoires, qui devront être réglés en justice. Ce n’est pas suffisant pour justifier une censure préventive.

Cette situation est évoquée dans le framabook Un monde sans copyright… et sans monopole (où les auteurs vont plus loin et réclament carrément l’abolition du droit d’auteur), sur cette page :

Il y a toujours le risque qu’une œuvre apparaisse dans un contexte qui n’inspire que le dégoût : cela ne peut en aucun cas être l’intention de l’artiste. Par exemple, l’œuvre peut être utilisée dans un objectif que l’auteur rejette avec passion ou auquel il est hostile. Le droit d’auteur offre des compensations à de telles situations. Si aucune permission n’a été demandée, il est facile pour un tribunal de conclure que le droit d’auteur a été enfreint. Mais que pourriez-vous faire si, comme nous le prétendons, le droit d’auteur n’est plus viable ? En fait, il existe dans la panoplie juridique un certain nombre d’instruments tout à fait appropriés (contrairement aux apparences) pour satisfaire l’exigence légitime de l’artiste de ne pas être traîné dans la boue. Nous nous référons ici à la diffamation, et en particulier aux actes jugés injustes et illégaux.

Un artiste qui considère injuste la manière dont son œuvre a été traitée peut se présenter devant un tribunal et tenter de le convaincre. Certes, la procédure n’est plus aussi automatique qu’avec le droit d’auteur, mais cela présente des avantages : premièrement, la loi est appliquée pour réguler et la jurisprudence se développera certainement pour mieux encadrer les situations vraiment désagréables ; deuxièmement, toutes les œuvres restent alors à priori librement disponibles pour être modifiées, adaptées et placées dans divers contextes, en d’autres termes, pour être remixées. Il s’agit là d’une avancée majeure qui, grâce à l’abolition des droits moraux, ne sera pas freinée.

Je vais me faire l’avocat du diable :

Je fait des photos, plus précisément des portraits de studio. Je n’apprécierais pas du tout qu’un parti politique, à but non commercial donc, se serve d’une de mes photos sans mon accord sous prétexte qu’il n’y a pas de gains financiers à la clé. Je ne parle pas non plus du droit à l’image des modèles.

®om

@Fizmoo

Les promoteurs des lois en question ne justifient la nécessité de défendre la forme actuelle de droit d’auteur que par l’aspect économique. Par exemple, après l’intervention de John Perry Barlow à l’eG8, Mitterrand (à 35mn30) lui répond que le copyright est important car c’est ce qui lui a permis de gagner l’argent lui permettant de vivre… Puis il ajoute qu’“il s’agit de penser des solutions économiques à un problème économique”. C’est ce raisonnement sur le problème économique que je trouve absurde, et sur lequel j’exprime mon désaccord dans ce billet. Et c’est indéniablement ce problème qui accrédite ces lois.

Ce n’est pas un hasard si seul l’aspect économique est évoqué : ces lois sont écrites par les entreprises privées qui défendent leur modèle économique, et rien d’autre. D’ailleurs, la lobbyiste de Vivendi a laissé échappé un joli aveu (à 2mn03) :

Nous avons été à l’origine… enfin, à l’origine… dans les premières discussions [de la loi Hadopi]

Maintenant, tu poses une autre question (un peu similaire à celle de Carbuncle) : au-delà de l’aspect économique, tu juges que le droit d’auteur est important pour éviter qu’une œuvre soit utilisée pour transmettre un message, par exemple politique, potentiellement non compatible avec les pensées de l’auteur.

Tout d’abord, le problème que tu pointes me semble représenter qu’une infime partie des restrictions du droit d’auteur : il ne serait pas raisonnable d’interdire le partage de musique ou de films sur Internet à cause de cela, car ils ne posent aucun problème de ce genre.

Ensuite, il me semble qu’un équilibre est à trouver entre, d’une part, la liberté de l’auteur de décider de tous les usages qui pourront être fait de son œuvre par le public afin d’éviter un message politique non souhaité, et d’autre part, la liberté du public de réutiliser les œuvres existantes (favorisant les créations nouvelles). Cette autorisation nécessaire est très contraignante, et serait inimaginable dans d’autres domaines :

Quand on y réfléchit, on peut trouver mille et un exemples de mécanismes similaires. Les scientifiques se servent des travaux d’autres scientifiques sans demander de permission, ou sans payer pour ce privilège (“Excusez-moi, Professeur Einstein, pourrais-je avoir la permission d’utiliser votre théorie de la relativité pour démontrer que vous aviez tort au sujet de la physique quantique?”).

Enfin, une œuvre, une fois entrée dans le domaine public, ne nécessite plus d’autorisation pour être exploitée. Le problème semble alors se poser de la même manière, non ?

EDIT : Un complément pour répondre à la question, le commentaire en popup quand tu cliques sur droits moraux d’une licence Creative Commons est très intéressant :

En plus du droit des détenteurs de droits de demander le retrait de leur nom de l’oeuvre quand elle est utilisée de façon dérivée ou collective qu’ils n’aiment pas, les lois du droit d’auteur accordent dans la plupart des juridictions du monde (avec l’exception notable des États-Unis sauf dans des circonstances très limitées) aux créateurs des “droits moraux” qui peuvent mener à quelque réparation si une oeuvre dérivée représente un “traitement outrageant” de l’oeuvre du détenteur des droits.

@Rom :

mon point de vue est très simple. Mes photos sont diffusées gratuitement sur mon book. N’importe qui peut les voir sans restriction. Je ne veux pas qu’elles soient utilisées sans mon accord.

De même lorsqu’une modèle me demande de retirer une photo que j’ai faite d’elle, je la retire car c’est son droit.

lekant

Je pense que l’industrialisation du marché de la création artistique a faussé tout le problème du droit d’auteur.

Ils ont cherché un moyen de copier leur propre performance pour réaliser 1 performance = X ventes, beaucoup plus rentable que 1 performance = 1 vente.

Le droit d’auteur ne s’applique que sur l’oeuvre pas sur son support, non?

C’est toujours pareil, l’industrie a réussi à multiplier les pains mais ne veut pas recommencer à aller aux fourneaux…

C’est un juste retour des choses, c’est injuste de travailler 15 jours, de gagner 15 millions et de refuser de retourner bosser dès qu’un problème existe.

Vive le théâtre et les spectacles vivants.

Zakhar

Très intéressant ton billet Ⓡom !

J’ai 3 autres pistes de réflexion/interrogations qui vont dans le sens de ton billet.

1) Je m’étonne que la différence ne soit pas faite dans la loi (ou alors j’ai loupé la chose… mais ça ne m’a pas sauté aux yeux), entre télécharger un film non-public pour le regarder en famille, ou le télécharger pour en vendre des copies dans le métro. Mais peut-être est-ce ce qu’on appelle “utilisation non-commerciale”.

Dans le deuxième cas (vente d’une oeuvre qui ne m’appartient pas) on commet (éventuellement) un délit qui me semble plus grave puisqu’on prive l’auteur initial d’une demande solvable. Après tout, si un “client” accepte de payer 1€ pour un DVD copié dans le métro, peut-être aurait-il accepté de payer la même somme, voire un peu plus, pour l’œuvre originale. Or, clairement, les lois comme “Hadopi” ne font pas cette différence qui me semble quand même fondamentale.

J’ai mis qu’on commet “éventuellement” un délit, car dans certains cas cela peut s’avérer légal (quoique tordu!). Je peux par exemple tout à fait graver des DVD d’Ubuntu (ou de Big Bucks Bunny) et aller les vendre dans le métro. Dans la mesure où je respecte la GPL (CCbySA) et mentionne que le même produit est par ailleurs disponible gratuitement, et que j’en donne les sources, c’est légal. En l’occurrence j’ai rendu le service de télécharger et graver la chose plus passer du temps à le faire. Celui qui achète économise ce temps. Mais là je suis presque plus dans la vente de service sur une œuvre “libre”.

2) Ensuite sur les rémunération des “artistes” / “autres acteurs de l’économie actuelle”, au même titre que l’exemple de ma vente des DVD d’Ubuntu dans le métro, lors de discussions avec des collègues on disait que finalement ce qui pourrait être vendu (en magasin) c’est l’objet. Le DVD matériel avec son support physique, une jolie boite, bref quelque chose qui fait plaisir à offrir (ou s’offrir), en considérant que la valeur de ce qui est gravé n’a pas d’importance.

Sur cet exemple, j’ai acheté (ou fait acheté) 4 exemplaire du livre “Simple comme Ubuntu”. Celui-ci est par ailleurs disponible en licence libre, mais ça me semblait plus sympa et plus pratique d’avoir le livre physique. Je peux l’emporter et le feuilleter confortablement dans le métro par exemple. Et au passage je contribue à faire vivre le sympathique et compétent Didier et fais un don à la communauté des logiciels libres.

3) Et la dernière réflexion ne concerne pas qu’internet (ton article semble centré sur ça) mais sur l’absurdité des DRM. Je pense qu’on peut reprendre tout ton article et mettre DRM à la place des idioties qu’on nous pond sur le net, et on peut probablement dire tout à fait la même chose.

Les DRM visant précisément à “entretenir la rareté” en rendant les choses non copiables voire même non pérennes.

En exemple de l’absurdité de la chose, précédemment je louais mes DVD à la Vidéothèque de mon entreprise (le prix étant raisonnable à 1€), mais depuis que je suis passé au HD… je ne peux plus le faire. En effet, on a toutes les difficultés du monde à lire des BluRay sur Linux, à tel point qu’il est bien plus simple de lire un Matroska trouvé sur le net plutôt qu’un BluRay qu’on s’est procuré légalement. Bref une aberration contreproductive, alors que je suis bien sûr disposé à continuer à verser 1€ pour chaque œuvre dont je bénéficie !

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Violinux

@lekant

Je pense que l’industrialisation du marché de la création artistique a faussé tout le problème du droit d’auteur.

Je crois que tout est dit. Les débats sur Hadopi nous ont abreuvés des notions de droits des artistes, des auteurs, des interprêtes. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Quand un artiste signe un contrat avec une société de production, le contrat qu’on lui présente stipule quasiment toujours l’abandon de tous ses droits au profit de cette société. Les Majors qui ont obtenu du gouvernement ces lois qui leurs sont favorables, n’ont pas agit au nom des artistes, mais en leur nom propre, en tant que propriètaires de ces droits cédés.

Je pense que c’est dans la même logique que les sociétés industrielles qui acquièrent de nombreux brevets et font de l’argent dessus en attaquant en justice à tout crin.

Quand on a une vocation d’artiste, on désire créer, être diffusé. Un musicien vit sa passion sur scène. Et le public la partage vraiment au concert. Il n’y a que des industriels pour penser que la musique n’est qu’une conserve ( CDs ),

qui doit se vendre avec une logique d’épicier.

Bravo pour le blog.

Alors que j’étais sur le blog de webisteme, je découvre ton pingback sur son article et je découvre ce billet qui résume très très bien les problématiques du moment.

Encore bravo et vivement qu’on explique cela aux élèves qui feront l’économie de demain!

®om

En plein dans le sujet, je vous conseille ce livre en ligne : Du Bon usage de la piraterie, en particulier le chapitre 6 La rareté contre l’abondance.

seb

Comment expliquez vous que l’oxygène, en abondance, n’ai pas provoqué de crise économique sans précédent ?

®om

@seb

L’oxygène est hors-marché. Il n’y a pas d’économie de l’oxygène.

Pour moi, comme je l’explique dans ce billet, les biens non-rivaux devraient également être hors-marché.

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[…] bel article de synthèse sur certains soucis lié à l’économie de l’information et au reve… […]

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